L’utilité de l’expertise judiciaire en droit de la construction

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expertise judiciaire

En droit français, il existe deux principes essentiels à savoir, le droit de la preuve et le principe du contradictoire. Suivant le premier, celui qui réclame l’exécution d’une obligation ou celui qui s’en prétend libéré doit en rapporter la preuve. Suivant le second, chaque citoyen doit pouvoir bénéficier du droit à un procès équitable en ayant connaissance de la procédure engagée, des arguments développés et des pièces versées aux débats, afin de pouvoir en débattre librement. L’expertise judiciaire est un moyen efficace permettant de concilier ces deux principes.

QU’EST-CE QU’UNE EXPERTISE JUDICIAIRE ?

Une expertise judiciaire est une mesure d’instruction permettant de faire appel à un professionnel technique afin d’éclairer le juge dans l’optique d’un futur procès. Cette mesure permet d’effectuer des investigations techniques approfondies sur un cas litigieux, en présence de l’ensemble des personnes concernées, afin d’obtenir un rapport d’expertise judiciaire contradictoire opposable à l’ensemble de ces mêmes parties.

 

QUEL EST LE RÔLE DE L’EXPERT JUDICIAIRE ?

Le rôle de l’Expert judiciaire, personne spécialisée dans un domaine, est de donner au juge un avis technique sur des points précis à l’origine d’un litige. Néanmoins, l’avis de l’Expert judiciaire ne s’impose pas au juge, ce dernier restant libre dans ses décisions et motivations.

 

QUI DOIT PAYER LES FRAIS D’EXPERTISE JUDICIAIRE ? 

Conformément au droit de la preuve, la charge des frais d’expertise judiciaire repose sur la partie qui est à l’origine de la demande d’expertise (le demandeur). Pour que les opérations d’expertise puissent débuter, le juge qui désigne l’Expert fixe le montant de la consignation et le délai dans lequel elle doit être effectuée. Cette somme est versée, à titre de provision, au greffe du Tribunal. Il s’agit d’une avance destinée à couvrir les frais de l’Expert judiciaire. En fonction de l’évolution des opérations d’expertise, l’expert peut demander, au cours de sa mission, le paiement d’une consignation complémentaire s’il estime que le versement initial est insuffisant pour couvrir ses honoraires. Il en va de même si, pour les besoins de l’expertise, l’expert désigné a besoin de l’assistance d’un sapiteur sur un point déterminé (par exemple, dans le cadre d’une expertise fondée sur les troubles anormaux de voisinage, un expert peut solliciter l’assistance d’un expert spécialisé en mesures acoustiques pour effectuer des mesures et étayer le contenu de son rapport). Les frais d’expertise judiciaire varient selon les experts et selon l’ampleur des investigations à mener.

 

QUAND DEMANDER UNE EXPERTISE JUDICIAIRE ? QUELLE EST LA PROCÉDURE POUR OBTENIR UNE EXPERTISE JUDICIAIRE ?

L’expertise peut être demandée par les parties ou par le juge, avant le procès ou au cours du procès lui-même. Avant tout procès, une partie peut demander au juge la désignation d’un expert judiciaire, sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, afin d’établir la preuve de faits dont la décision postérieure du juge pourra dépendre. Si le montant du litige est supérieur à 10.000,00 euros, la représentation par avocat est indispensable.

ATTENTION : la mission de l’Expert judiciaire désigné étant conditionnée au contenu de l’assignation, il est impératif de détailler avec précision l’ensemble des griefs. En droit de la construction, tous les désordres doivent être énoncés dans l’assignation.

Dans le cadre d’un procès déjà engagé, le juge peut ordonner une expertise s’il estime ne pas disposer d’éléments suffisants pour prendre sa décision et/ou s’il a besoin de l’avis technique d’un professionnel. Cette demande peut également émaner d’une partie dans le cadre d’un procès en cours (par exemple, si vous êtes assigné en paiement par un professionnel qui a effectué des travaux chez vous mais que vous contestez la qualité des prestations effectuées).

 

LE DÉROULEMENT DE L’EXPERTISE JUDICIAIRE IMMOBILIÈRE

Une fois l’Expert désigné par ordonnance du juge et la consignation versée auprès du Tribunal, l’Expert procède à la convocation de l’ensemble des parties pour une première réunion d’expertise. Cette mesure étant réputée contradictoire, les investigations menées sont opposables à l’ensemble des parties, quand bien même elles seraient absentes et/ou non représentées, à partir du moment où elles sont régulièrement convoquées.

En fonction de l’ampleur des désordres et des investigations à mener, plusieurs réunions peuvent être nécessaires. En règle générale, chaque réunion donne lieu à la rédaction par l’Expert judiciaire d’une note aux parties ou d’un compte-rendu. De leur côté, les parties peuvent faire valoir leurs observations et transmettre des pièces à l’Expert par le biais de dires. Une fois les réunions terminées, l’Expert dresse un pré-rapport. Les parties lui présentent alors leurs dernières observations par voie de dire récapitulatif puis l’Expert judiciaire transmet son rapport définitif. Toutes ces étapes doivent se faire dans le respect strict du contradictoire. Chaque document doit être adressé à l’ensemble des parties afin qu’elles puissent faire valoir leurs observations.

 

QUELLES SONT LES SUITES D’UNE EXPERTISE JUDICIAIRE ? 

A l’issue de l’expertise judiciaire, deux possibilités peuvent se présenter. Si les parties trouvent un accord entre elles, un protocole d’accord est rédigé. Si les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord, la partie qui y a intérêt peut saisir le juge du fond pour qu’il tranche sur les responsabilités en lecture de rapport.

 

QUELLE EST LA DURÉE DE VALIDITÉ D’UN RAPPORT D’EXPERTISE JUDICIAIRE ?

Il n’existe pas de durée de validité d’un rapport d’expertise.

 

COMMENT CONTESTER UNE EXPERTISE JUDICIAIRE IMMOBILIÈRE ?

Vous pouvez solliciter la nullité d’un rapport d’expertise judiciaire à condition de démontrer le non-respect par l’Expert judiciaire des principes essentiels posés par le Code de procédure civile et la jurisprudence, notamment le principe d’impartialité ou le principe du contradictoire. Néanmoins, l’appréciation de l’utilité ou de la nécessité d’un complément d’expertise ou d’une contre-expertise relève du pouvoir souverain des juges du fond. Ainsi, il est primordial de faire assurer la défense de ses intérêts dès le commencement des opérations d’expertise, afin de faire valoir ses arguments auprès de l’Expert judiciaire.

 

QUELLE EST LA DIFFÉRENCE ENTRE UNE EXPERTISE JUDICIAIRE ET UNE EXPERTISE AMIABLE ? 

En droit de l’immobilier et droit de la construction, lorsque des désordres, malfaçons, vices ou non-conformités sont constatés, il est recommandé de solliciter l’assistance d’un expert amiable afin d’obtenir un avis technique sur la situation. La plupart du temps, cette sollicitation émane d’une partie et ne permet pas de répondre aux attentes légales en matière de contradictoire. Contrairement à l’expertise amiable, l’expertise judiciaire repose sur un cadre juridique strict et l’expert judiciaire est indépendant de toute partie au litige. Par nature contradictoire, elle a une valeur probante supérieure vis-à-vis des juridictions. Sur ce point, la Cour de cassation considère que le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise amiable non contradictoire réalisée à la demande de l’une des parties. Néanmoins, le rôle de l’expertise amiable ne doit pas être négligé. Elle est déterminante et essentielle dans la détermination de l’opportunité de solliciter une expertise judiciaire au contradictoire des parties concernées. Elle permet de cerner la réalité des désordres ainsi que leur ampleur, de mieux cerner les enjeux du dossier et de définir la stratégie à adopter pour la suite du dossier.